Présence juive à Tianjin
Posté par ITgium le 16 mai 2009
A mon amie de toujours, Hanna Landau
Installation
Pourchassés par les pogroms, dès la fin du XIXème siècle, des marchands et des ouvriers d’origine juive (yóu tài rén), principalement originaires de Pologne, entreprirent le long chemin depuis les plaines de l’Europe Centrale jusqu’en Mandchourie. La plupart firent souche à Harbin. D’autres prolongèrent vers les villes côtières. Certains s’installèrent à Tianjin constituant, dès la fin du XIXème siècle, le premier embryon de communauté juive de la ville, alors dénommée Tienstin.
A cette immigration, s’ajoutèrent dans les années 20, quelques dizaines de bolchéviques lesquels emmenés dans les bagages de Maksim Litvinov, Commissaire aux Affaires Etrangères de l’URSS, remplissaient alors le rôle de coopérants politiques ou mieux nommés, de camarades du peuple frère. Si la plupart d’entre eux étaient juifs aucun n’en faisait état. Seul leur nom suggère cette appartenance.
Certains membres de la communauté juive de Chine étaient également issus du Bund, mouvement socialiste juif créé à la fin du XIX siècle dans l’Empire de Russie. A Tianjin, d’après les archives historiques de l’Université de Nankai, l’on perçoit une vague attention de créer un bureau local du Bund. L’initiative restera lettre morte. Il semble bien que l’ardeur révolutionnaire s’affaiblisse à mille encablures des plaines de l’Europe centrale.
A ces mouvements, vinrent s’adjoindre des juifs installés autoritairement dans le Birobidjan, un Etat supposé juif aux confins de la Sibérie, surtout une création artificielle de Staline.
En 1928, date de l’apogée de Tienstin, la communauté juive comptait près de 4000 membres avec une activité sociale très diversifiée, de nombreux clubs d’animation. La pratique du sport est particulièrement poursuivie.
Une communauté unie
Si la communauté juive de Tianjin est exclusivement d’origine Ashkénaze et de langue Yiddish, tout oppose en apparence les coopérants communistes aux réfugiés. Au son du Kominterm, les premiers en appellent à l’internationale socialiste, leur présence à Tienstin n’étant qu’un maillon de cette chaine. Les seconds souhaitent une vie meilleure à l’abri des violences qui sévissent en Europe Centrale. Dans la minute d’une réunion de l’Association d’entraide juive de Nankai, l’on retrouve les termes d’un débat à l’allure plutôt irréaliste. « Il faut lever les masses chinoises, déclare un certain Igor Zelman, combattre partout l’hydre féodal ! » Peut-être songe-t-il aux Seigneurs de Guerre Chinois ? Cependant, il est aussitôt contredit par Daniel Lieberman, un actif commerçant de la ville, lequel l’invite à ouvrir une échoppe de fourrures. Les deux hommes s’empoignent alors amicalement. Avec les années, les Bolchéviques rentreront dans le rang, certains se mariant avec des chinoises. Toutefois nombre d’entre eux resteront fidèles à leur idéal apportant leur concours au mouvement communiste chinois. A cet égard, il faut noter que dans les années 1950, plus de la moitié des membres de la section étrangère du PCC sont juifs dont le plus célèbre d’entre eux, Israël Epstein.
Loin des troubles, un monde paisible
Durant la période sombre qui s’abat en Europe, la communauté juive de Tienstin vit des heures paisibles.
« Alors que nos frères vivaient le martyr, à Tianjin, nous ne souffrions d’aucune turbulence » souligne Harry Rozents, originaire de Pologne. « Certes nous avions des échos de ce qui se passait sur la Vistule mais comme ici nul ne nous molestait, nous n’y pensions pas. ». « A l’époque, ajoute-t-il, les chinois n’avaient absolument aucune perception particulière à l’égard des juifs. Nous étions indistinctement des wài guó rén (étrangers) comme l’étaient aussi les quelques allemands résidants à Tianjin ». Malgré l’invasion Japonaise en 1937, la communauté s’y maintient pour l’essentiel. Aucun incident n’étant alors rapporté.
D’ailleurs, en 1938, la synagogue de Nanjing Lu est inaugurée en grandes pompes. « Chinois et juifs étaient de la fête » se souvient Harry Rozents. Toutefois, plus que la place des traditions religieuses, c’est la culture Yiddish qui constitue le ciment de la communauté.
Avec l’avènement de la République Populaire en 1949, la plupart de ses membres émigrent en Australie ou aux Etats Unis.
Aujourd’hui, la communauté juive de Tianjin compte une centaine de personnes éclatées en diverses nationalités.
Bâtisseurs
A Tienstin, l’apport de la communauté juive dans l’aménagement de la ville est considérable. Pas moins d’un millier d’immeubles, construits entre 1860 et 1937, illustrent peu ou prou tous les styles d’architecture de l’Europe. Cet incroyable patchwork rappelle le goût à l’universalité telle que l’envisage une certaine identité juive. Au nombre des bâtiments, la synagogue de Tianjin (laquelle se trouve à un embranchement de Nanjing Lu) présente une façade extérieure post moderne (une audace pour l’époque). Après les années cinquante, le bâtiment a longtemps abrité un restaurant. Désormais restaurée, une association américaine entend lui restituer sa destination originale.
François de la Chevalerie
Octobre 2009
Sources : Archives de l’Université de Nankai
Témoignage
Ressortissante Belge dont la famille a longtemps résidé à Tientsin, Renée Fuks rend compte de cette époque.
Née dans cette ville en avril 1937, j’y ai vécu jusqu’en janvier 1947, date du début de notre voyage de « retour » (pour mes parents) en Belgique. Le 6 janvier 1947, j’ai dit adieu à mon grand-père paternel sur le quai de la gare de Tientsin. D’origine juive polonaise, Hersh (ou Garry) Fuchs s’était établi très jeune en Manchourie, puis en Chine. Il avait épousé, à Shanghai, une russe-juive rescapée du pogrom d’Odessa. Ils ont eu 5 enfants, mon père, étant le premier de leurs fils. C’est en venant faire des études d’ingénieur en Belgique, que mon père avait rencontré et épousé ma mère, une liégeoise, de famille belge et catholique. C’est de ce mariage, oh combien mixte, que je suis née. Maintenant, à l’approche de mes 70 ans, je cherche à préciser et illustrer, si possible, mes nombreux souvenirs d’enfant.
Mes parents et moi-même, puis ma première sœur, née, elle, en 1944, habitions un immeuble moderne des années ’30, dans l’ancienne concession française, rue St Joseph, ou I Pin Da Lou (si je ne me trompe). L’immeuble était précédé d’un jardin avec allées carrossables et flanqué, sur le côté d’une construction antérieure, en style mélangé de médiéval et de Tudor, qui était l’habitation du propriétaire, un français, Mr Loup. Nous allions à la messe, ma mère et moi, à l’église St Joseph, tout au bout de la rue, près du fleuve. A l’âge de 5 ans, en septembre 1943, je suis allée à l’école « Municipale Française » (dirigée par un français d’origine corse, je crois, Mr Tomasini) Mon grand-père avait une belle maison, qu’il avait fait bâtir en 1935, Taku Road, je crois. Blanche, à double perrons d’entrée, moderne, toit plat, entourée de jardins : je me demande ce que cette maison est devenue ? Il avait ses bureaux d’import-export non loin de là, mais plus près du parc anglais (Victoria Park ?) que nous traversions pour retourner chez nous. Il avait aussi une usine de petits moteurs et de frigos, à la marque « Polar », mais je ne suis plus sûre de l’endroit où elle était, plutôt du côté de l’ancienne concession allemande, je pense. Mon grand-père est mort à Tientsin en 1951 et enterré au cimetière juif de la ville. J’ai bien connu aussi la synagogue de Tientsin, pour y avoir accompagné ma famille paternelle à des fêtes et mariages. Je crois savoir que la synagogue a été restaurée, mais qu’il n’y aurait plus de cimetières dans les grandes villes chinoises. Par exemple, nous avions de grands amis français, les de Précourt, de la Banque de France, je crois, ou encore, les Benoît, d’origine bretonne, Monsieur Benoît dirigeait le corps des pompiers de Tientsin jusqu’en 1945…la Banque et les pompiers occupaient d’imposants bâtiments le long de la rue principale.