Des ponts français en Chine : la belle aventure, l’histoire de Marc Mimram court sur dix ans.
Posté par ITgium le 2 décembre 2014
Le récit de jùn mǎ (俊 马)
Une rencontre
Depuis 2004, sous le ciel de Chine, Marc Mimram irrigue inlassablement le territoire.
Comme point de départ, une rencontre.
D’un côté, un homme français résolument cartésien mais à l’esprit libre.
De l’autre, une femme chinoise, Christine Liu, jonglant dans les entrelacs d’un guanxi (关系) où tout se négocie, où tout se fait dans le désordre mais sûrement.
Ce compagnonnage improbable né à l’occasion d’un stage.
Au début des années 2000, titulaire d’une bourse dans le cadre du programme présidentiel « architectes et urbanistes chinois en France », Christine Liu s’empare de ce moment pour ouvrir les yeux, récupérer le moindre filon, à l’affût de bonnes idées.
L’appel de la Chine
L’esprit inlassablement inventif, Marc Mimram s’alarme que l’on ne puisse plus réaliser en France des ouvrages d’ampleur. Il s’inquiète d’un patrimoine figé que d’aucuns souhaitent immuable. Il s’emporte contre des cahiers des charges par trop contraignants où tout est réglé, posé d’avance, laissant à l’architecte une liberté toute mesurée.
Marc Mimram eut été un homme heureux s’il était entré en affaires dans les années 50. Combien aurait-il aimé chahuter les trente glorieuses, reconstruire le pays !
Malgré tout, au fil des années, l’homme laisse son empreinte. Il est l’auteur de nombreux ouvrages d’art et de projets architecturaux en France. Il excelle, notamment, dans les passerelles.
Cependant, de temps à autres, revient ce rêve, édifier des ponts à tout va, enjamber les flots, rendre accessible l’horizon.
Surtout, faire le pied de nez à une nature qui longtemps a rendu la vie impossible aux hommes !
Durant son stage, Christine Liu, évoque, sa lointaine contrée, nomme le nom de sa ville d’adoption.
« L’on doit bâtir pour mille ans, dit elle. Nous en sommes au début ! » martèle-t-elle sans s’interrompre, jour après jour.
L’air en apparence distrait, Marc Mimram a entendu le message.
Il regarde le planisphère, glisse son doigt depuis Paris vers la Chine.
Il appelle à la rescousse Christine Liu, lui demande de répéter le nom de cette ville dont elle aurait les faveurs des dirigeants locaux.
- Tianjin, murmure-t-il
- Tianjin, poursuit-il d’une voix plus grave comme s’il mesurait la gravité de l’instant.
Il se retourne alors vers Christine.
- C’est entendu, je ferai le voyage m’en allant à l’écoute, déchiffrant le paysage, auscultant à tout va. Tu l’as bien compris, j’ai mes idées de ponts. Je le ferai savoir !
Tianjin (天津)
Quelques mois plus tard, notre homme se trouve à Tianjin qu’il se surprend à nommer Tien stin.
- C’est le relent de mes cours d’histoire, dit-il en s’excusant. Je ne ferai plus jamais l’impair. Tien-Tsin, la coloniale, a vécu ! Tianjin porte désormais le flambeau de l’avenir !
Lors de ses premiers pas en Chine, Marc Mimram observe avec étonnement s’agglutiner autour de lui des chinois ressassant respectueusement son nom.
- Que dois je leur dire ? marmonne-t-il. Que je suis un architecte et un ingénieur ? Que le labeur me porte ?
Comme s’ils avaient percé son murmure, ces mêmes chinois se laissent emporter par un rire fraternel.
Vient le repas, un défilé infernal de plats.
Entre deux battements de baguettes, des hommes se lèvent pour saluer l’invité tout comme ils se congratulent entre eux, le verre à la main.
Comme la tablée compte vingt personnes, les gorgées sont innombrables.
En Chine, respecter autrui, c’est vider son verre, c’est le vider vingt fois, cent fois indifféremment de prosaïques problèmes biliaires.
Beaucoup auraient décliné l’invitation, jouant à l’occidental effarouché.
Marc Mimram pousse l’avantage.
- Demain, nous commencerons ! s’exclame-t-il comme Napoléon s’en allant sur le Pont d’Arcole.
Ponts de Chine
Dès 2004, la premier pont Marc Mimram occupe l’espace de Tianjin.
Emmené par des arcs discrets, le pont Beng Bu est un ouvrage sobre en apparence mais qui bouscule alors le classicisme des ouvrages réalisés auparavant dans cette ville portuaire.
Suit le pont de Feng-Hua, plus étoffé, plus osé. Il domine volontairement l’espace.
Dans la foulée de la construction de plusieurs ponts à Tianjin, surgit le pont de Ningbo en 2006. Cette fois, l’étiage est tout en hauteur, une percée dans le ciel.
A Paris, Marc rencontre la Mairesse de Yangzhou, Madame Wang Yanwen, une personnalité très en vue. Il joue la séduction. Une semaine après, il se trouve sur les lieux. La passerelle de Yangzhou est déjà dans sa tête.
Dans l’ombre d’une confidence, elle me dira plus tard :
- Je ne pouvais m’imaginer qu’un français fut si réactif. A peine avais-je eu le temps de prendre ma décision qu’il était déjà à l’ouvrage !
Marc Mimram ne laisse pas atteindre par les valses d’hésitation à la chinoise où souvent les gros travaux sont l‘objet d’impitoyables tractations entre groupes d’influence locaux.
Retour à Tianjin. Quatre ponts sont construits dont le plus inattendu, le pont Jingliu ancré dans l’Eco-Cité Sino Singapourienne en bordure de mer de Bohai. Construit en 2011, il surprend par des vagues qui jouent à front renversé sous la structure. L’ouvrage fait grand bruit. Un article dans un Journal de Tianjin rapporte : “La beauté d’un pont peut être enfoui sous le regard ».
Cette fois, virée en Chine du sud, il s’amuse avec l’édification de passerelles de Gangxia à Shenzhen.
Suivent les ponts de Zhongtai et de Shengtaigu toujours dans l’Eco-Cité Sino Singapourienne. Des ponts plus long, glissant vers l’horizon.
En viendront d’autres, dans la mêlée des passerelles, d’autres friandises encore.
Tel est le vœu de Marc : poursuivre ses travaux chinois toujours et inlassablement car tous ces ponts désormais les bien nommés, selon le journal de Tianjin, « ponts Marc Mimram » perdureront par delà le temps, le temps d’un autre millénaire de l’histoire chinoise.