L’heureuse ronde… Femme chinoise, homme noir, homme blanc…Homme noir, femme chinoise…Femme noire, homme chinois
Posté par ITgium le 23 mars 2013
Le récit de jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie) et mǎ lì 马 丽 (Malick Sylla)
L’homme blanc se frotte le front, reprend sa respiration.
Il tient à peine sur lui même.
Le monde sur lequel il est assis depuis des siècles craquelle.
Bientôt il ne voit plus à l’horizon.
L’homme noir frappe du pied, cherche à répandre le bruit de sa culture ancestrale.
Il tonne toujours plus fort, pousse des râles.
Il s’entend surtout lui même.
Les deux hommes se chahutent, portent le fer.
Volent des mots dérisoires.
Se nourrissant de leurs peines, les visages se raidissent.
Drôles de combattant !
Jusqu’au moment où une femme chinoise passe par là.
Un sérieux coup de vent.
Une silhouette glissant le long de l’étang aux lotus.
Une étoile dans le ciel.
Tous deux se laissent surprendre.
- Svelte et élancée, ne s’en laissant pas compter, déclare l’homme blanc.
- Désirable, le regard porté vers l’avenir, comprend l’homme noir.
- Cette onde bienfaisante nous serait elle favorable ? murmurent-ils ensemble.
- Nous retrouverons notre élan, nous en allant à sa conquête, proclament-ils ensemble.
Ils la prennent en filature.
Ils accourent, entourent la jeune femme, l’un lâche son ombre, l’autre la double sur la gauche.
Imperturbable, le pas volontaire, elle poursuit sa route.
Cinq mille ans de civilisation et la puissance retrouvée de son pays l’emmène toujours plus loin.
S’en agaçant, l’homme blanc lui barre le chemin.
S’accumule dans l’air la grandeur de son passé.
La femme chinoise le regarde, tout de marbre.
Elle refuse l’invitation, continue son envol.
L’homme noir surgit.
Il dessine entre ses mains un monde en gestation.
Puis il met ses mains en boule.
Le sang du monde, dit-il.
La femme chinoise pose un regard étrange sur cet homme comme une incompréhension.
Elle s’éloigne, déjà à mille mètres.
Loin, par delà les océans, franchissant déserts ou montagnes, le cœur à l’ouvrage.
La voilà bientôt au siècle suivant.
Les deux hommes ont le visage défait, la bouche entrouverte.
- Nous pensions que depuis que le monde est monde, rien ne nous résisterait, croyaient-ils.
Une minute de silence.
C’est alors qu’ils s’engagent.
Nullement se laisseront-ils plus longtemps piéger pas leur histoire, ils apporteront seulement leur obole à l’inexorable vent de liberté soufflant en Chine.
Tous deux décident de l’habiller.
Elle est naturelle, elle le restera.
Elle est belle, elle le sera mieux encore.
Elle est élégante, elle portera davantage les couleurs du monde.
Elle a confiance en elle, elle aura aussi confiance en ses pairs venant de contrées lointaines.
L’un l’habille sous une variété d’étoffe, de peaux de cuir.
Au dos de chaque manteau, comme un blason mêlant modernité et tradition.
Peaux de mouton, de cerf, de chamois, de vache, de phacochère.
Il les déchire, les recompose, les écrase, les tanne, les tire jusqu’à l’os.
D’un jet encore, il les enrobe de couleurs, les caressant au rebord, sur le fil.
L’alliage est insensé, brouille les repères, stimule les énergies.
L’autre l’habille avec des mots.
Il la rend chaleureuse, peuple son visage de sourires.
La voilà, prolifique.
Une voix qui jongle entre Castillan, Bambara et Nahualt.
Une voix de soprano plus haut que toutes les autres.
Les deux hommes s’en amusent, se frappent la pomme de leurs mains.
Poussée vers les étoiles, Mademoiselle la Chinoise vaut désormais de l’or !
Dans un monde changeant, tous trois s’accompagnent, composant ensemble la douce partition du monde diversitaire.
Une composition de Malick Sylla (mǎ lì 马 丽)
Elle, mademoiselle lì mǎ, la Chinoise
Lui, mǎ lì, l’Africain
Presque des semblables.
Chacun porteur d’une culture ancestrale,
Longtemps dans leur monde,
Désormais ensemble.
Fort de leur énergie respective, d’un même jet, ils composent l’avenir.
Mǎ Lì, le styliste,
Lì mǎ, la mannequin,
Vogue la chinoise sous le regard de l’africain.
- Je suis là, dans son monde, dit-elle.
- Je suis là, dans son monde, dit-il.
Le roman de Lóu Jìng 娄婧
Le récit de jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie)
Regard doux, sourire généreux.
Des yeux picorant l’interlocuteur que je suis.
- Je suis chinoise, s’exclame d’emblée Lóu Jìng, comme on peut l’être depuis cinq mille ans, d’un bel élan.
- De toute mon âme, je porte bien ce beau manteau, ajoute-t-elle la voix légèrement chahutée par l’émotion.
Shanghaienne, Lóu Jìng a fait souche sur Terre voici une vingtaine d’années, le visage empreint des belles couleurs de son père, homme noir d’Amérique et de sa mère, chinoise.
En 2009, participant à une émission de variété, Lóu Jìng devient brutalement célèbre.
Des voix s’étonnent alors que ce beau visage puisse être chinois, arrimé à une civilisation cinq fois millénaires.
Vaguent des mots peu élégants.
Des râles venant de mâles.
La tête envahie par leurs démons.
Au lieu de batailler contre l’absurde, Lóu Jìng rétorque simplement :
- Je suis née en Chine. Comme tant d’autres, l’un des un milliard quatre cent millions d’habitants de ce pays.
Elle ajoute :
- La Chine est fantastique. Plus les années passent, plus je ne vois qu’elle !
Originaires du Henan ou de l’Anhui, ses amis s’appellent Li, Liu, Wang, Yang et Zhang, Lin.
Ou encore Zhe, Ying, Song et Jing.
- Je les remercie de leur amitié jamais démentie comme je remercie mes parents de m’avoir donné la vie. Ils ont oeuvré pour la ronde des peuples, n’est-ce-pas ? ajoute-t-elle, le visage composant avec un beau sourire.
L’on songe en silence à l’avenir.
Le jour venu, Lóu Jìng oeuvrera.
Dans quarante ou cinquante ans, son fils ou sa fille deviendra peut être le porte drapeau, la figure de la Chine d’alors.
Homme ou femme de ce monde.
Homme noir femme chinoise
amour improbable, amour probable
Le récit de jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie) d’après l’histoire d’Antoli Yar’Adua
Je suis arrivé en l’an 2000 en Chine à Shenzhen.
Je n’avais alors pas la moindre connaissance de ce pays.
Dans un premier temps, je me concentrais exclusivement à mon métier d’ingénieur réalisant des valves à destination des raffineries du Golfe de Guinée.
Comme je souhaitais mieux communiquer avec mes collègues chinois, j’ai cherché à apprendre le mandarin.
Par à coup, par saison.
Aussitôt appris, les mots se défaisaient, s’envolant.
Un véritable supplice dont il ne ressortait que des phrases mal construites, des larmes.
Un ami me suggère alors de prendre un professeur.
- Le meilleur professeur d’entre tous, une amie chinoise, assure-t-il.
- Ensuite, le souffle viendra tout seul, poursuit-il.
La semaine suivante, mon bienfaiteur me présente une chinoise originaire de Fogang dans le nord de la province du Guangdong.
De son nom, Mademoiselle Ying Liu.
Toute menue, le visage lisse, elle m’offre un sourire généreux.
Comme un appel venant du fonds de l’inconnu, posée là dans la vie, je l’aime aussitôt.
Cependant, une ombre parcourt mon esprit telle une épée de Damoclès, le poids de l’histoire, le sentiment d’être autre.
Comment moi l’homme de Port Harcourt, puis je conquérir une belle âme porteuse d’une civilisation si différente de la mienne ?
Je me laisse emporter par mes songes, bientôt paralysé, m’abîmant tout seul.
C’est alors qu’elle s’approche de moi en me tendant le livre d’Anxmandae de Leira « l’esprit des années lointaines ».
Elle en tourne les premières pages, glissant sa main sous des caractères chinois.
Comme je n’arrive pas à les déchiffrer ni en longueur ni en largeur, elle lit le texte de sa voix douce et chantante.
« Je vois l’horizon, un étrange parfum. A mille lieux. Une lueur, une voix. J’approche alors. Je reconnais un sourire, un désir de vivre, d’aimer, s’en allant vers l’improbable.»
Le souffle venant tout seul, je porte alors mon regard vers le ciel de Chine.
Femme noire homme chinois
amour improbable, amour probable
Le récit de jùn mǎ 俊 马
(François de la Chevalerie) d’après l’histoire Isabelle Njonjo
Le monde s’en allant à reculons !
C’est l’histoire que je m’étais composée dans ma tête.
En partance vers la Chine, à mille lieux de ma terre natale, j’avais alors l’esprit embastillé par une pléiade de poncifs.
D’où venaient ils ?
De qui étais je la proie ?
Comme je suis de nature plutôt enveloppée, je me faisais gentiment chahuter par mes amies qui moquaient mes atours si différents de ceux de la femme chinoise.
Rondelette de mon côté.
Silhouette fine et gracile, de l’autre.
Je leur répondais que je n’avais nullement l’intention d’entrer dans une improbable compétition
Possédée par le goût au travail, je voulais parfaire en Chine mes connaissances en génie civil, mon métier.
Dans ma tête, j’avais déjà une série de routes à construire entre Kericho et Butere, à l’ouest du Kenya.
Construire mon pays, le mettre au devant de la scène, tel était mon rêve !
Après avoir passé quelque temps dans une université chinoise, j’ai fait un stage dans une entreprise de bâtiment à Shanghai.
Au 25ème étage d’une tour, nos tables de travail placées à chaque extrémité d’une même pièce, nous étions deux.
Une femme kikuyu.
Un homme Han.
L’un, l’autre, chacun dans son coin.
Je passais mes journées dans des calculs savants.
Il composait des graphiques.
Nous ornementions nos bureaux de nos prouesses respectives.
Un jour, par mégarde, j’ai laissé la fenêtre ouverte.
Un sérieux coup de vent balaya aussitôt la pièce.
Nos feuillets s’emmêlèrent, les graphiques jonglant parmi les tables à calcul.
Alors qu’il cherchait ses documents, il murmura :
- Pourquoi ne pas recomposer ce désordre ?
Depuis ce jour, nos tables collées l’une à l’autre, nous dessinons ensemble une route traversant la vallée du grand rift courant jusqu’au Lac Victoria.
Sur le chemin, il manquait un pont.
Nous l’avons construit de nos quatre mains, notre enfant.
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