La shanghaïenne
Posté par ITgium le 5 juillet 2012

Shanghai
La Shanghaïenne, entre convenance, confort et colère
Les récits de jùn mǎ 俊 马
Visage rigide, sourire carnassier.
Parfois elle s’offre un sourire de convenance, habile et séducteur.
D‘une beauté aléatoire.
Plutôt d’un naturel élégant, décolleté à peine perceptible, les escarpins compensées, un sac selon les saisons.
Son allure suinte souvent le goût à l’argent.
Généralement, elle se promet une vie confortable à l’abri du besoin dans un monde souvent réduit aux apparences.
Une vie rythmée autour de promenades dans des centres commerciaux sans âme. Où dans chaque magasin des vendeurs efféminés se précipitent vers elle.
Elle raconte alors ses désirs, cuir et joaillerie.
Sans attendre, elle achète des marques reconnues, emblèmes d’une richesse toute récemment acquise.
Elle achète toujours au delà du nécessaire pour prouver qu’elle existe même dans la futilité.
Parfois elle est conviée à une exposition, un peintre occidental ou une relique égyptienne. Ou à un concert, violon et violoncelle.
Elle s’y rend mécaniquement. Surtout une obligation. Se bouchant délicatement les oreilles, elle regarde vaguement des toiles centenaires.
Elle a l’œil plutôt sur l’ombrelle d’une jeune femme supposée concurrente qu’elle déteste aussitôt.
Aux abords de la trentaine, une inquiétude la taraude. Pressée par mère et tantes, l’hymen devient son seul objectif. Une obsession tellement maladive qu’elle en devient laide.
Guettée par de lancinantes migraines, elle consacre alors son temps à la recherche d’une proie avec laquelle elle frayera pour mettre au monde un enfant unique aussitôt confié à une lointaine belle-mère habitant les provinces reculées de l’Anhui ou du Hunan.
Puissent les occidentaux fraichement débarqués à l’aéroport de Pudong ne pas commettre l’irréparable en s’entichant d’une femme pareille. Le jour venu, ils iront quémander à leur consulat un rapatriement immédiat.
A Shanghai, entre femmes règne une compétition féroce dont l’échelle de valeur est la fortune de leur homme. Elles disent « leur homme » plutôt que leur amoureux. Car elles exigent de lui qu’il tienne son rang.
Jamais elles ne lui reprocheront d’être édenté, imberbe ou chauve, pétant ou rotant, l’essentiel étant qu’il s’accommode de leur caractère surtout d’une soif de luxe laquelle se fera croissant avec le temps.
Pauvre homme, il n’oppose pas la moindre résistance. Songeant désespérément aux câlins de minuit, il s’incline.
Malgré tout, la shanghaienne le rudoie. Pour tout remerciement, elle lui offre plainte et complainte.
Pourquoi ne l’a-t-il pas assez couvert de cadeaux ?
Pourquoi ne l’invite-t-il pas dans les palaces qui pullulent à la sortie Shanghai où pourtant les journées se passent autour d’un écran de télévision ou en pianotant son téléphone portable ?
Du coup, son homme est penaud.
Profil bas devant sa femme, il lui laisse la monture.
A force d’étouffer, de vivre sous ses cris, il se meut en androgyne.
Par dépit peut être, l’air ahuri, il traine sa silhouette comme une femme mais mange comme un homme, tel un malpropre.
Le soir venant, dans des bars fraichement inaugurés où s’agglutinent des occidentaux désœuvrés, la shanghaienne savoure sa réussite, la tête emportée par l’alcool. Jonglant entre des bières exotiques, l’œil guettant ses bagues, la belle s’amuse.
Irrésistiblement, l’ennui guette.
Une douleur au crâne dévastatrice.
Un ennui profond proche d’une sensation d’inexistence. Comment résoudre l’aberrante équation d’une vie banale et confortable à l‘abri d’un hermaphrodite aussi ennuyeux qu’un pneu de secours ?
Dégagée de tous soucis matériels, elle cherche alors un amant, cette fois un homme sans le sou, un gigolo australien ou un ancien marine de la 82ème division aéroportée mais qui la fera rire en lui parlant crûment de sexe devant des match du NBA, juste le temps profiter de la vie avant que sa beauté se fane.
Juillet 2012
La princesse de Shanghai ou comment être une femme chinoise à l’esprit limpide.
Les récits de jùn mǎ 俊 马
Voici quelque temps, dans la mêlée de la vie, un ami lâche une incidente :
- Pour connaître Shànghǎi, il te faudra déchiffrer le regard d’une femme. Derrière l’apparence, les jeux de rôle, le superflu, une beauté assurée, se cache dans les entrelacs de son âme, un brin de paradis, une ville aux lumières éternelles.
Il ajoute d’une voix émue :
- Nul autre qu’un homme amoureux n’en fera meilleur usage.
Fort du conseil, dès le lendemain, d’un pas résolu, je me lance à l’assaut de la perle de l’Orient, la parcours de long en large, m’en allant vers le Wai Tan, poussant jusqu’à l’Observatoire de Sheshan, au sommet de la colline de So Zé.
Courant, haletant.
Osant l’aventure dans les rues les plus sombres.
Brusquant des ombres.
Prolongeant ma route vers de beaux édifices, témoins d’un passé glorieux.
Sur le chemin, je frôle des femmes.
Grandes ou petites, replètes ou chétives. L’œil borgne ou le regard vif.
Toutes chinoises, supposées Shanghaiennes.
Du cru, d’un beau cru.
D’un geste, je les approche.
D’une voix chaleureuse, je quémande une minute de leur vie.
Ou un simple sourire.
Je les observe jusqu’à les dévorer du regard. Traquant le moindre trait, guettant chaque nuance, à la recherche de l’improbable onde.
Malheureusement, ce jour-là, les perles sont rares.
Pâle constat !
Comment cette femme au regard si fade peut-elle abriter la face cachée d’une ville ? Comment cette autre, désespérément amorphe, m’en dévoiler les secrets ?
L’âme de Shànghǎi m’échapperait-elle plus longtemps encore ?
La nuit tombant, je baisse les bras.
C’est alors que devant le Renmin Gōngyuán, je remarque une ombre glissant le long de l’étang aux lotus.
Une silhouette élégante et fine s’en allant rapidement. La voilà maintenant sur Nanjing Lu, s’élançant d’un pas volontaire, traversant le croisement d’un seul tenant.
Une marche presque militaire l’emmène vers le Ciro’s plaza.
Je la prends alors en filature, la double sur la gauche, bloque son passage.
Lutte étrange, mon corps s’oppose au sien.
La nuit est opaque. Des bruissements de voiture aux alentours. Quelques clameurs au loin.
Son visage est sobre, aux traits harmonieux. Une peau légèrement chahutée par une pigmentation désordonnée.
Elle lève lentement la tête, me foudroie du regard, jette une moue dans l’arène. Enfin, elle s’exclame :
- Vous n’avez rien compris ! L’âme d’une chinoise ne s’acquiert pas sur une fausse détermination.
Surpris, je la laisse passer. Elle file de nouveau, plus rapidement encore.
Je reprends ma course, à son niveau maintenant.
- Mademoiselle, pourriez-vous me parler de Shànghǎi ?
Elle s’emporte alors.
Une remontrance, un cri de colère. Une avalanche d’épithète censée chasser l’intrus.
Puis un silence.
Soudain, surgissent des larmes. Elles glissent sur ses joues, chahutent ses lèvres.
Dans un éclair, un sourire.
Emmené par un mot léger. Une étoile dans le ciel. Un vœu pour la vie. Une envie sincère d’aimer, d’être aimé.
Désormais sereine, elle raconte un quartier, une anecdote, l’Histoire de Shànghǎi.
Ci-git, sous des pierres, un homme illustre ayant construit plus d’une bâtisse comme, Victor Sassoon, qui construisit l’actuel Peace Hotel sur le Bund.
Là-bas, un aventurier au long cours, chercheur d’or.
Se dissimulant sous les arbres, l’amour fou et désespéré entre une française de bonne famille et un bandit de Chóngqìng.
Se brisant à jamais la vie d’un jeune français passionné d’écriture chinoise, le malheureux, écrasé au petit matin par un chauffard sur Nanjing Lu.
Malheureuse encore, cette toute jeune fille, née de l’amour éclair entre un homme noir et une chinoise, à la recherche de son père dans un bar glauque aux abords du temple de Jing’an.
Heureuses ces femmes devant l’élévation incessante de temples voués à la consommation.
Au loin, résonne la triade Xiăo dāo hui, la Société des Petites Épées.
Hurle son parrain, Du Yuesheng, surnommé Du les Grandes Oreilles, personnage ubuesque, meneur de trafics en tous genres.
Bruit aussi la grande Histoire.
Les vivats des membres fondateurs du Parti communiste chinois (Zhōngguó Gòngchǎndǎng) le 23 juillet 1921 dans la concession française (fǎzūjiè).
Misérables, les Hóng wèi bīng, grotesques gardes rouges, chantant la wénhuà dàgémìng, la révolution culturelle et ses millions de morts.
Heureux, mille fois heureux, les juifs réfugiés d’Autriche, de Pologne et de Russie, en 1940 dans le ghetto de Hóngkǒu !
Ils disent merci à la Chine éternelle de leur avoir sauvé la vie.
Ils s’agenouillent, prient; la main enroulée dans un Sefer Torah.
A l’ombre des souvenirs, le monde moderne.
Des gratte-ciels, toujours plus hauts, pullulant à Pudong, caressant le ciel.
Sur le toit de l’un, un homme.
Sur le toit de l’autre, une femme.
Au milieu, le vide.
Pourtant, un fil invisible les relie, telle une promesse.
Au fil des récits, je réalise ma chance.
L’âme de cette femme compose avec Shanghai, s’enlaçant, s’aimant.
Deux dans l’un.
L’un dans le regard de l’autre.
L’un s’émerveillant de l’autre.
C’est donc elle, ma muse !
Rassuré, je pars à sa conquête, demande son nom.
Court un silence.
Je renouvelle l’appel, l’entoure de mots amicaux.
Elle se redresse, regarde le ciel comme pour fuir mon regard, mumure enfin :
- Sylvie lín jìng
Une civilisation cinq fois millénaires à l’ombre d’une forêt dense où s’emmêle un zeste de France, telle une chanson.
Originaire de Fuzhou, depuis longtemps arrimée à Shanghai.
Un ancrage durable, indéracinable, « mieux qu’un homme dans mon sillage », dit-elle malicieusement.
Elle raconte alors sa vie de femme, cadencée et mouvementée.
Vigoureusement moderne jamais insouciante.
Des rencontres, des poèmes, une promenade sur un vieux pont, un baiser à l’arraché et puis brusquement se meurt une passion trop lourde à porter.
Tel un retour en arrière pour revenir aux sources, celle d’une ville follement aimée.
Ils n’y pourront rien ces gaillards ! Ni leur adresse, ni leur ingéniosité ne sauront faire fléchir la belle.
Liu, le notable, plouc jour et nuit, roulant dans une berline argentée.
Paolo, le Romain, chantant un ton trop haut « ti amo » d’Umberto Tozzi, le buste en avant.
Un lǎowài originaire d’Atlanta calmant ses nerfs du bout de ses lèvres.
Bu Nong, l’éternel rêveur cosmique, faisant sonner les clochettes de lijiang.
Jeroen, l’Hollandais, grand de taille et bel homme, pêchant la rascasse à Middleburg.
Soudain, une inquiétude chevauche son regard.
Le souvenir d’une querelle, d’une contrariété, juste d’une moue.
Avec l’un, avec l’autre, elle ne sait plus.
Des scènes de vie, un zeste de violence.
Sur les bords du Huángpǔ Jiāng, une après midi pluvieuse du mois de février, des commentaires sarcastiques.
Longeant Shanxi Lu, un terrible chahut, une sinistre affaire d’argent née dans l’univers vulgaire et ostentatoire du Banyan Tree de Hangzhou.
Au pavillon mexicain de l’exposition universelle, une fatigue suivie d’une dispute, d’une fuite et heureusement de retrouvailles.
Des cris à faire frémir le monde entier, au nº 50 de la rue Moganshan. Beaucoup de larmes, ce jour-là !
Des gifles à la pelle devant une agence immobilière dans le district de Pǔtuó Qū. La honte infinie d’un homme agressé en pleine rue.
Misérable accueil à Pǔdōng, l’une fois la tête maussade, l’autre fois la tête en colère
Une ballade en vélo au Shìjì Gōngyuán, le ventre à l’air.
Sombre ce monde d’infortune.
Le sentiment d’une occasion ratée, celle d’aimer pour la vie.
Sylvie lín jìng m’offre son passé, son présent, son futur.
Sans fard, sans détour.
De la matière brute.
Des mots ciselés, sans mensonge, venant naturellement.
Une femme profonde et sensible, nullement tiède dans ses sentiments, gardant la mémoire de chaque instant, portant la réflexion au loin.
Sous l’effet d’ondes bienfaisantes, vivant honnêtement.
- Puisque aujourd’hui le destin m’a permis de vous rencontrer, demandai-je alors, dites moi seulement ce que je dois faire pour me faire aimer par Shànghǎi ?
- Ne rien dire qui n’interrompe sa course vers des lendemains heureux !
Elle me tend la main, s’empare chaudement de la mienne et soupire.
- Je vais maintenant regagner mon bureau, le siège d’Air France à Shanghai.
Cette fois, je laisse le passage, regarde sa silhouette s’éloigner lentement. Gracieusement, elle disparait à l’horizon.
L’âme de Shànghǎi est le meilleur cadeau que Sylvie lín jìng m’ait jamais offert, une part de sa lumière.
Là, dans l’ombre, j’aimerai toujours Shànghǎi, le cœur heureux d’une si belle rencontre, ce bonheur.
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