Portrait d’amis : Philippe Dhervilly, Michel Brisacier, Franck Filatriau, Michèle Pilhan, Geoffroy Giscard d’Estaing, Mike Sylla, Etienne Patier, Aldo Nezozzi
Posté par ITgium le 29 mars 2009
Philippe Dhervilly, voyageur en Chine
de Jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie)
Il observe.
Il écoute, le regard circonspect.
Que viens-je faire en Chine ?
Il s’en inquiète en lisant, relisant, l’histoire de chacune des villes marquant les étapes de son voyage.
Des noms imprononçables, à se fendre en deux, rumine-t-il.
La tête barbouillée, il s’enlace dans l’histoire d’un peuple cinq fois millénaires.
L’âme minutieuse, il déchiffre tout.
Dans les entrelacs, il flaire un chahut démocratique.
Tout est passé au crible, comme il pourrait autant piéger le sédiment à la racine, cette matière féconde et recyclable dont il fait sa force de frappe.
« Pour comprendre le sédiment, il faut l’aimer ! » s’exclame son ami, Daniel Levacher.
« Pour comprendre le Chine, juste un peu d’amour ! » soupire Victor Segalen.
Philippe s’en est allé là-bas, le regard propre, nullement perturbé par les préjugés, les sirènes hostiles.
A Wenzhou, les chinois aiment d’emblée cet homme gentiment enveloppé et au naturel confondant.
Le caractère, tout en rondeur.
Un homme qui sent bon la France éternelle, aimant le bon vin, la bonne chair.
Voix chaleureuse, fier de sa culture, il fourmille d’anecdotes, le tout dit sans arrogance, sans complexe.
Tout sort légèrement de ses entrailles, d’un jet.
Ce même naturel chez nos hôtes chinois.
Ils s’affichent comme ils sont, durablement enracinés et heureux de le faire savoir, rotant au hasard.
« Les chinois aiment les hommes qui ne mentent pas », dit Malraux.
Les chinois aiment la France tant qu’elle restera la France, grande et universelle.
« Cet homme est bon », murmure dans mes oreilles, un chinois.
Bon, comme un besoin de fraternité.
Bon, comme un vieux Calvados, heureusement distillé, jamais corrompu par le temps, les affres.
Franck Filatriau, un playboy en Chine
Jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie)
Beaucoup d’occidentaux s’affairent en Chine sans prendre soin de connaître en profondeur l’âme immémoriale de ce pays.
« Depuis la nuit des temps, âme vertueuse !” disait Malraux dans ses Antimémoires.
Pendant trois années de présence à Shanghai, Franck a cherché avec constance à démêler l’écheveau complexe de l’histoire de la Chine, traquant la moindre anecdote, prenant à témoin chaque récit.
Jamais il ne s’est contenté d’une facilité de jugement, d’un commentaire à l’emporte pièce, de raccourci.
Défiant les rumeurs, il a toujours retenu son souffle en cherchant la meilleure réponse, l’argumentant par le menu.
Chaque jour lisant et relisant le China Daily, voguant la nuit tombée au gré de longues conversations parmi des lettrés.
L’esprit alerte, il a appris méthodiquement le chinois, disséquant le moindre mot, désossant chaque phrase pour mieux en comprendre le contexte.
Aujourd’hui, il parle couramment cette langue et en maitrise l’écriture.
Malgré son désormais éloignement de la Chine, il s’amuse encore à déchiffrer d’improbables slogans, comme par plaisir.
Pendant ses années de présence en Chine, Franck est resté droit dans ses bottes.
Contrairement à nombre d’occidentaux qui se laissent posséder par les lumières de la ville, ceux que l’on rencontre en abondance dans des lieux de perdition, Franck s’est tenu à distance des jeux saumâtres.
A l’évidence, son attitude traduit une marque de respect à l’égard du peuple chinois, une éternelle reconnaissance à un peuple par cinq fois millénaire.
D’une infaillible amitié auprès de ses amis chinois, jamais Franck ne s’est jamais départi de son soutien, de ses conseils, toujours là pour aider, pour apporter un peu de sa science.
Homme de cœur, celui-là !
« L’appel de la Chine est un appel à l’âme ! » ajoutait Malraux.
« Flairant l’absolu, l’âme du monde ! » poursuivait la belle Pearl Buck.
Le monde selon Michèle Pilhan
Jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie)
Le métissage s’offre des visages. Rarement gais, plutôt maussades, l’âme douloureuse. Cœur lourd, yeux accablés, mine défaite. Dans la pénombre, ils guettent un fil de vie, la passion.
Depuis 1988, Michèle Pilhan les traque les uns après les autres. A l’arraché, dans les entrelacs, par petits bouts. Ce peut-être vous, l’autre ou l’incompris. Le défilé suit l’histoire de leur vie. La sienne aussi.
Premier dans la mêlée, un homme s’accuse, salive. Qui est-il ? Toledano ou Tadeusz ? L’on ne sait. Et quel gredin, son ami d’enfance ! L’autre jour, Gustavo Bustamante y Diaz fumait un havane à l’entrée d’un palace. Plus vrai que nature, prince de la nuit, l’arrogance calculée. Ne voilà-t-il pas que son oeil gauche s’offre une maladresse ? Une déception, un trouble. Un groom veille. « Non, Monsieur, lance ce dernier, nous sommes au complet ! »
Là-dessus, surgit un couple. Ravis d’être sur terre, ils crânent ! Leur joie bouscule. La belle est blonde ; l’amant, Hoskandar del Irun, né à Grenade, marrane ou Khalife ! Dans leur sillage, une autre blonde. Au vu de sa chair, elle serait Indienne, fille d’un royaume englouti. Ou mexicaine d’ascendance Huichol. Ou Saoudienne, gazelle du Hedjaz, nouvelle venue à Marbella. Ou blonde, seulement, dans la fournée, attendant son heure. Tel ce gredin de Giorgio, Duc de Trévise, ou Jim Heinhurd, natif de Fort Wayne, Indiana heartland.
S’étirant au ras des flots, toute nue, elle rêve d’un baiser surprise. Nullement sollicité, si peu attendu, mais indispensable pour donner à la vie ce piment, cette légèreté, qui la rend tolérable. Malheureusement, c’est Imelda Otrolicht, une drôle de garce, qui rafle la mise ! Ah l’intrépide, il s’étourdit sur ses lèvres ! Bientôt, ils danseront un Tango endiablé.
Au loin, le peuple tend l’oreille. Foule imbécile ! Regroupée en rang serré, elle avance droit, d’un seul pas. L’atmosphère est lourde. Le ciel, gris.
Peut-être ont-ils vent d’un drame ? Ont-ils remarqué dans le regard d’une maman une étouffante douleur ? Le bébé tenu dans les bras est malade.
Dépouillé de ses chevaux, peau diaphane. Les yeux écarquillés, l’enfant observe sa mère, une toute dernière fois, le venin court.
Cette détresse contraste avec un couple chaudement arrimé l’un à l’autre. Retour sur l’histoire. Ce sont les parents de l’enfant. Voilà vingt ans, il s‘aimaient à l’orée du bois. Un lâché de baiser sur le front en témoigne.
Cependant, à quelque encablure, valsent des regards. Qu’ont-ils ces hommes de redoutable ? Leur jalousie ? Leur hargne ? Le cerveau barbouillé de mauvais souvenirs, l’esprit chahuté, ils confrontent leurs peines, grimacent, s’humilient.
Ni plus ni moins, ils se nomment Gaspard, Melchior et Balthasar. Marchands ou Princes ?
Un comparse s’interroge. Son regard profond s’emballe sous un bleu d’une affolante honnêteté ! « Ne pas craindre la vérité ! » réclame-t-il. Ou sinon : « Gardez silence ! Dans ce cas, on vous mettra un bandeau sur la bouche ! » « Mince alors ! s’insurge Michèle, que suis-je dans ce monde ? Qu’ai-je à consentir ? »
Mieux vaut lâcher prise, ne plus se déguiser, respirer seulement l’onde légère qui balaie les palmeraies du Sierra Leone ou de Saly Portudal. Ou se fendre d’un amour immodéré pour le Chang Jiang, le Huang He et Shuzhou, la Venise d’Asie.
Là-bas, viendront ses fidèles. Childa, la mélancolique ; Hélène, s’étonnant de tout de rien, de peu ; Vala, visage assommé. Des hommes, les frères Jacques, Igmar Sverson et Hector de Zondth, ceux-là, la peau rouge vif. Ou Mehmet. Rencontré à Antalaya, voici vingt ans, ce dernier jure les grands dieux qu’il suffit d’une seule règle pour vivre heureux. Ses filles, Chila et Chela. Son fils, Kockal, se démultipliant à l’infini. Son neveu, Mür, Ouzbek de Kashgar.
« Et maintenant, déclare Michèle, que je vous ai croqués, laissez moi grimper en haut de la croix et m’y tenir comme je l’entends ! » Déjà elle s’impatiente de la venue d’une lame de fond. « Puisse-t-elle engloutir les mauvais présages, un chat noir ou le magma, par exemple ? »
François de la Chevalerie, 22 janvier 2007
Dans les entrelacs de Pékin, au hasard d’une soirée, j’apprenais à l’automne 2011 la disparition de Geoffroy Giscard d’Estaing, mon ami.
Quelques mois auparavant, je lui adressais ce message tiré d’une riche correspondance.
« Geoffroy, j’espère que tu vas bien, le bonheur abondant sous le sceau de l’hymen ! » (Daté du 4 décembre 2010).
Geoffroy s’était remarié quelques mois plus tôt. Après des années de solitude, il vivait sa nouvelle vie avec joie et ferveur, le cœur enlacé dans une passion amoureuse.
Plus d’une fois, il me racontait son bonheur, une déclaration de mariage sur la grande muraille, de belles perspectives.
Je ne m’inquiétais donc pas que mon message restât sans réponse.
Telle une habitude aussi.
Parfois Geoffroy disparaissait se réfugiant dans ses réflexions. Puis, un jour au temps clair, il resurgissait étalant alors son enthousiasme pour la vie qu’il se plaisait à croquer en abondance.
J’aimais sa personnalité chaleureuse, faite de curiosité, cet esprit courtois.
J’aimais son entrain, cette force qui l’amenait inlassablement à se lancer dans de nouveaux projets comme pour mieux faire mentir les dangers qui obstruaient secrètement sa santé.
J’avais noué avec lui une franche amitié où l’humour était partout présent.
Je dialoguais beaucoup avec lui, explorant à l’infini les sujets de notre temps, disséquant l’avenir.
Au hasard de la vie, je suis heureux d’avoir rencontré Geoffroy, fidèle par delà la mort, c’est cela même l’amitié.
François de la Chevalerie, 2013
Michel Brisacier, une foi vibrante
En 1997, à Québec, lors d’un voyage de la Fondation Charles de Gaulle, je rencontrais Michel pour la première fois.
Au milieu d’un parterre d’anciens combattants et de collaborateurs du Général, il me jette alors un regard curieux.
« Que peux bien faire un jeune homme au milieu d’une cohorte de vieillards ? » se demandait-il fort à propos.
Son regard se faisant insistant, je l’approche.
- Je suis là pour le témoignage, dit-il en rempart. Dans ma jeunesse qui n’est pas celle de ces remarquables personnages, en 1968, alors que des trublions réclamaient le départ du Général, je levais la voix pour demander son maintien. Je leur rappelais que, par la seule force de son engagement, lui seul avait fait sortir la France des catacombes.
Il se fend alors d’un silence et ajoute :
- Seule la force d’un pareil engagement pourrait l’en faire sortir toujours !
Toute sa vie, Michel s’est mis sous perfusion gaullienne.
- Une irrésistible foi de charbonnier m’emporte toujours à le soutenir quoiqu’il ait pu faire.
Le soir de sa vie venu, une sourde interrogation assaille Michel : quel est donc le secret de la force du Général ?
Serait-ce un appel lancé du fonds de l’inconnu selon des lois inconnus ?
Serait-ce l’appel des mille grands de l’histoire de France ?
Pour Michel, la réponse repose bien davantage dans la foi du Général, une foi vibrante, une foi viscérale, le début et la fin de toutes choses, de l’aventure humaine.
La certitude que l’on se trouve sur Terre pour une raison évidente.
- Je porte la France, elle est ma croix ! s’exclamait-il.
A sa manière, Michel vibrait d’une même foi, levant la voix, s’en allant chaque jour vers de nouveaux combats.
Tel celui qu’il porta avec moi, pour soutenir la Francophonie.
Fort d’un de son engagement, Michel, ce combattant.
Mike Sylla, l’homme de demain
Jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie)
Le visage balayé par l’Alizé, j’arpente la Terre depuis toujours.
Je parcours dix mille kilomètres à l’année.
Cent à la nage.
Loin, par delà les océans, franchissant déserts ou montagnes, le cœur à l’ouvrage.
M’en allant aux Amériques et en Asie ou poursuivant jusque dans les confins de l’Oubangui Chari, je goûte aux cultures du monde, une tête d’Olmèque ou une céramique chinoise datant de la dynastie des Han.
La nuit, je mêle les conquêtes du jour à mes racines ouolofs et, depuis vingt ans, françaises.
L’alliage est insensé, brouille mes repères, stimule mon énergie.
Me voilà lancé dans le monde de demain, pétri de mélange culturel.
Fort de cette source créatrice, depuis trente ans, je travaille la peau.
Peaux de mouton, de cerf, de chamois, de vache, de phacochère, de springbok.
Je les déchire, les recompose, les écrase, les tanne, les tire jusqu’à l’os.
D’un jet encore, je les enrobe de couleurs, les caressant au rebord, sur le fil.
Avec délicatesse telle une femme aimante, fut-elle originaire de Ziguinchor, de Guangzhou, de Mexico ou d’Hyderabad.
Telle une onde résolument portée vers l’avenir.
Travailleur de l’ombre, jouant d’un art multiple et mouvant, mon rêve, le Baifall Dream, rend hommage à l’Afrique et aux civilisations du monde.
Chanté ou dansé, à pas comptés, il insuffle doucement l’espoir, ce bonheur.
Mike Sylla
Styliste designer
Etienne Patier, ce combattant pour la France
Etienne était un combattant valeureux et généreux.
Droit et inflexible, il incarnait une nouvelle génération de Français Libres tels qu’ils s’annoncent pour reprendre en mains une France pâlissante, glissant dans les ombres.
Toujours prêt à lever la voix, II vantait l’idée d’une France grande et visionnaire.
Etienne était toujours enthousiasme, s’en allant inlassablement au combat.
J’aimais sa personnalité chaleureuse.
J’aimais son entrain, la force de vie qui l’animait.
Etienne, ce merveilleux français, citoyen du monde !
Aldo, le cœur à l’ouvrage
En 1938, à peine âgé de douze ans, Aldo Nezozzi fait déjà ses premiers pas dans le monde du travail. Bien jeune pourtant, il soulage ses modestes parents, déjà au service des autres comme il le sera tout au long de sa vie, aidant son prochain, le cœur inlassablement à l’ouvrage.
Au crépuscule de sa vie, doté d’une même énergie, il sillonne la banlieue parisienne, faisant d’innombrables haltes.
Qu’importe le temps, saumâtre ou dégagé, Aldo est à la tâche, le coffre de sa voiture plein d’empaquetages.
Une porte s’ouvre.
Une vieille dame au corps abîmé, les yeux presque voilés.
- Ah ! l’Aldo, s’exclame-t-elle, le regard pétri d’admiration.
Resurgissent les souvenirs, les années de dur labeur. Par delà les aléas de la vie, résonne l’eternel compagnonnage des travailleurs.
Jamais Aldo ne vient bredouille. Jamais s’exonère-t-il d’un geste pour assouvir les peines de l’âge, de l’isolement. Un Panettone fourré de raisins secs, des pommes, une bouteille de vin, le tout enrobé par un sourire discret.
Plus tard, Aldo rejoint un terrain de boule en milieu d’une zone pavillonnaire.
Une vingtaine de joueurs avertis s’égayent autour de lancés audacieux. Beaucoup sont ses anciens ouvriers.
Aussitôt Aldo reconnu, ils le fêtent joyeusement.
- L’Aldo, l’eternel ! clame l’un d’entre eux.
Voilà bien longtemps, il veillait sur eux, leur prodiguait maints conseils, les aidait à construire leur première maison.
- Du dur par la vie ! se souvient un compagnon, le visage reconnaissant.
Comme auparavant, au temps des trente glorieuses bénies, Aldo les observe avec tendresse.
Le sens d’une vie accomplie.
Le jour glissant inexorablement vers la nuit, il visite un entrepreneur qui remet à l’état neuf des voitures anciennes.
Le monde ancien se conjugue avec le monde moderne.
« Saura-t-on faire un jour avec un homme ce que l’on sait faire sur une voiture ? s’interroge-t-il. Ce ne sera pas une invention de mon temps. Je serai mort dans les deux ou trois ans, heureux d’avoir vécu le monde.”
Toujours attentif à la situation de chacun, Aldo devance les appels à l’aide, cherche inlassablement des solutions qu’il trouve en rassemblant les énergies.
« C’est en fédérant des compétences que la vie s’annonce prometteuse » médite-t-il.
Aldo avait l’âme d’un entrepreneur.
Travailleur acharné, jamais il ne s’arrêtera au rebord du chemin, se relevant toujours des débâcles, s’en allant au delà des frontières du possible.
Avec son fils, John, dans les années quatre vingt, il entreprend la conquête des Etats-Unis, navigue entre le Nevada et la Californie. Fortunes et infortunes accompagnent leur chemin mais à plus de quatre vingt ans passés, Aldo fourmille de projets, tel terrain à bâtir, telle ville, Tijuana, à nantir d’une centre de Conférence internationale.
Un jour, devant la station de métro Rome, il me confie que son corps lui fait mal.
La plus grande souffrance dans la vie est souvent la plus inattendue.
Elle surgit en nous même.
Ce corps avec lequel on a parcouru le monde, vécu mille aventures, cru en l’éternité s’affaisse, s’étoile, se fend.
Je n’ai plus jamais revu Aldo, mon ami.
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